Détourner le transit des camions à Strasbourg : l’impossible mission !

La fin des travaux annoncées d’ici la fin de l’année ne sera pas accompagnée d’une mise en service immédiate de l’autoroute à péage de Vinci de contournement Ouest de Strasbourg. Le tribunal administratif ayant bloqué son ouverture en juillet dernier.
Pour autant, à l’heure de la COP26, la question du transport de marchandises par la route et notamment celui du transit, reste une problématique qui pourrait s’accentuer avec le GCO, car même si ce trafic est détourné, cela ne règle en rien le trafic des poids lourds pour la déserte locale.

L’entrée en service d’ici à début 2022 de la future autoroute à péage A355 de Vinci –imposée, rappelons-le, par l’Etat en septembre 2018– doit s’accompagner d’une réglementation devant interdire le trafic de transit des camions sur la M35 (anciennement A35) traversant l’agglomération strasbourgeoise.

Faire respecter la réglementation : l’impossible mission d’une situation qui est déjà contourné sur l’avenue du Rhin à Strasbourg.

Dans son édition numérique de Strasbourg magasine, un article du 24 mars tente de montrer le durcissement des contrôles à la frontière avec l’Allemagne, avenue du Rhin à Strasbourg, avec pour objectif de faire respecter la réglementation (1) afin de limiter la pollution et le bruit.

Extrait – « Aux premières heures fraiches et ensoleillées de ce 24 mars, une vaste opération de contrôle de poids lourds a été menée au carrefour de l’avenue du Rhin et de la rue du Havre. De 7 heures à 10 heures, 170 camions ont été interceptés, onze verbalisés pour transit interdit, dont un pour de multiples infractions. 
Sept agents de la police municipale, quatorze de la police nationale ainsi que des fonctionnaires de la Dreal étaient mobilisés ce mercredi matin. Dans la soirée du 23 mars, entre 22 heures et minuit, cinq procès-verbaux avaient déjà été dressés.
La réglementation est pourtant claire : depuis 2012, le transit par l’avenue du Rhin est interdit aux poids lourds de plus de 6 tonnes, à l’exception de ceux qui chargent ou livrent à Strasbourg. Et depuis mars 2020, la circulation est interdite à tous les poids lourds de 22 heures à 6 heures, quelle que soit leur provenance et leur destination. Or, selon les derniers comptages, l’avenue est fréquentée chaque jour pas environ 2 000 camions, sur un total de 45 150 véhicules. »



Strasbourg.eu – « SEIZE POIDS LOURDS VERBALISÉS AVENUE DU RHIN »

En reprenant le bilan de l’opération de contrôle effectuée le 23 mars entre 22 h et minuit et le 24 mars de 7 h à 10 h (16 verbalisations sur 175 camions contrôlés) et en extrapolant les données sur les 2 000 camions / jour-semaine circulant sur l’avenue du Rhin (selon les derniers comptages – ref. Strasbourg.eu) :

  • Un peu moins de 10% d’entre eux sont en infraction soient environ 182 camions / jour-semaine
    (une donnée certainement sous-estimée par le fait que les camionneurs doivent probablement donner l’alerte d’un contrôle et qu’un certain nombre d’entre eux s’arrangent pour l’éviter).

Même si l’objectif est louable, voir même nécessaire pour le bien-être des habitants de ce secteur et plus globalement, de contribuer à faire baisser la pollution sur la capitale Alsacienne, le résultat semble dérisoire et les sanctions non-dissuasives pour empêcher le transit de camions de passer par cet axe en direction ou provenance du port autonome ou de Kehl.

Qu’en sera-t-il lorsque les poids lourds, notamment de transit, seront en principe interdit (2) dans la traversée de Strasbourg par la M35, après l’ouverture du Contournement Ouest ? –l’objectif étant d’obliger un maximum de camions à emprunter le GCO dont l’accès pour Strasbourg se fera pas le péage-échangeur d’Ittenheim– La question a de quoi être pertinente au regard de ce qui se passe sur l’avenue du Rhin ou encore sur les massifs vosgiens (3).

Une déserte locale qui représente 90% du trafic camions

La question du trafic camions devrait être au coeur des préoccupations de nos dirigeants politiques.

Même si le trafic de transit, notamment celui des poids lourds et plus particulièrement ceux passant par la France pour éviter la taxe allemande (LKW Maut), doit être limité par une taxe française du type « écotaxe », voir être détourné de l’agglomération strasbourgeoise par un contournement, force est de constater que son impact sur le trafic camions représente à peine moins de 10 % de son ensemble.

Alors, pourquoi avoir construit le GCO ?
Ce n’est pas faute d’avoir tiré la sonnette d’alarme, ni d’avoir pointé les incohérences et mensonges autour du projet.

Aujourd’hui, la Région comme le Département et l’Eurométropole, cherche à trouver des solutions pour favoriser les mobilités propres et durables en s’appuyant sur une loi d’orientation des mobilités promulguée le 24 décembre 2019, dont le grenelle pour l’Alsace s’était déroulé courant 2018 avec… 15 ans de retard. Au pied du mur face à l’urgence climatique, malgré eux, les axes développés reprennent ceux qu’ils avaient ignoré de notre livret paru en janvier 2016 : « 10 solutions pour faire sauter les bouchons ». L’objectif est de réduire l’utilisation de la voiture individuelle dans les déplacements quotidiens.

Pour autant, la question du trafic camion dans le trafic routier n’est pas prise à la racine. Même si les professionnels du transport de marchandises se défendent à dire qu’ils agissent pour réduire les émissions de Gaz à effet de serre (GES) et de polluants (4), le secteur génère malgré tout plus de nuisances que la circulation automobile (pollution, usure de la chaussée, bruit). Réduire ces nuisances, passerait par une réduction des flux de marchandises par la route. C’est-à-dire, mettre en oeuvre des alternatives comme le ferroutage, par exemple. Relocaliser les entreprises en les développant au plus près des zones de consommation, permettrait également de faire baisser les distances parcourues et d’utiliser des camions plus petits, voire d’autres véhicules moins polluants.

Mais, entre ce que la raison appelle à faire et l’univers des multinationales, la recherche du profit maximal des uns, s’arrête où commence celui des autres.

Vinci n’a pas intérêt à voir baiser le trafic routier, notamment celui des poids lourds. L’entreprise ne veut pas non plus d’une écotaxe qui pourrait lui faire perdre un trafic de transit sur la plaine d’Alsace en passant par son autoroute. Au contraire, dans la situation actuelle, l’objectif du concessionnaire est d’attirer encore plus de camions et ainsi créer un couloir à poids lourds.

L’état et les collectivités se retrouvent prient dans leurs propres contradictions : faire baisser le trafic routier tout en accordant des concessions d’autoroutes nouvelles à des entreprises dont le bisness est de chercher à rentabiliser au maximum leurs investissements (5) et donc à faire rouler encore plus de véhicules sur leurs routes.

Transit vs déserte locale, le piège pour tous, Vinci à la manœuvre !

Avec un trafic de 16 500 poids lourds / jour-semaine et un transit estimé à 10 % de celui-ci, d’un trafic routier de 160 000 à 180 000 véhicules / jour-semaine, il restera donc toujours environ 14 000 camions pouvant circuler sur la M35, tronçons de l’A35 traversant l’agglomération Strasbourg, à l’entrée en service de l’A355 d’ici à début 2022. Quand on sait que les projections du concessionnaire laissent espérer une captation de 11 à 16 % du trafic actuel vers le GCO, on peut s’interroger sur qui va rentabiliser l’autoroute ?

Depuis toujours, le discours officiel laisse une place ambiguë sur l’obligation ou pas pour la desserte locale, à devoir emprunter la future A355 et passer par le péage-échangeur d’Ittenheim pour se rendre à Strasbourg. Les 14 000 poids lourds / jour-semaine qui ne sont pas du transit, auront-ils le choix ? Le secteur du transport routier de marchandises a-t-il conscience du piège que représente le contournement ? Et dans tous les cas, qui va payer le manque à gagner de Vinci autoroute si l’entreprise n’atteint pas ses objectifs financiers imputables à des mesures prises ou pas par l’État et ou les collectivités influençant le trafic routier ?

Détourner le transit ne règle rien !

La promesse vendue par la CCI Alsace en 2011 de voir la fin des bouchons avec le GCO, ne sera pas tenue. Il y aura toujours des camions sur l’A35 traversant Strasbourg, qu’ils soient de transit ou non. Aucune réglementation ne permet de filtrer qui est qui. GCO NON MERCI l’a toujours dit : le contournement reste une mauvaise réponse à de vrais problèmes. Aujourd’hui, malgré des avancées à confirmer en faveur des mobilités douces autour et dans l’Eurométropole, la problématique du trafic routier, notamment celui des poids lourds, de transit ou non, reste entière.


(1) La réglementation est pourtant claire : depuis 2012, le transit par l’avenue du Rhin est interdit aux poids lourds de plus de 6 tonnes, à l’exception de ceux qui chargent ou livrent à Strasbourg. Et depuis mars 2020, la circulation est interdite à tous les poids lourds de 22 heures à 6 heures, quelle que soit leur provenance et leur destination.

(2) Si l’interdiction du trafic de transit des camions n’est pas effective à l’entrée en service du GCO, les collectivités s’exposent à devoir payer une indemnité à Vinci Autoroute, gestionnaire des 24 km de l’A355, à hauteur de 10 millions d’euros. La rétrocession du segment de l’autoroute A35 qui traverse l’agglomération strasbourgeoise, de l’État à l’Eurométropole depuis le 1er janvier 2021, avait valu un bras de fer sur la question des droits et devoirs qui l’accompagnait. L’Eurométropole se refusant de devoir se substituer à l’État, co-payeur de cette indemnité avec la Région et le Département dans le contrat de concession signé avec ARCOS/Vinci – lire notre article du 27 août 2020 ici – Le dénouement de cette affaire ne nous est pas connu.

(3) Le dispositif de restriction de circulation des poids-lourds mis en place en 2000 interdit sur les itinéraires transvosgiens, la circulation des véhicules de plus de 3,5 t en grand transit (pas de déchargement en Alsace et en Lorraine) et la circulation nocturne des plus de 19 tonnes, sauf pour les riverains et les bénéficiaires de dérogations (produits frais…)

(4) Selon Président de la section alsacienne de la Fédération nationale des transporteurs routiers (FNTR) – DNA du 24 mars 2021 – Depuis plus de 10 ans, l’adoption du programme « Objectif CO2- les transporteurs s’engagent » démontre l’engagement fort du secteur en matière de réduction des émissions de GES et de polluants. Ce programme a déjà permis la réduction de 2 millions de tonnes de CO2.
Le secteur du transport routier de marchandises (TRM) connaît une véritable mue environnementale. Elle se poursuit aujourd’hui dans le cadre du Programme EVE qui intègre l’ensemble de la supply chain, créant ainsi une émulation collective de l’ensemble des acteurs concernés. Ce programme permet la réduction de 1 million de tonnes de CO2 par an.
Les camions ne représentent que 6 % des émissions de CO2 en France (source Citepa/Secten juin 2020).

(5) Exemple avec le GCO : investissement = 500M€ pour une concession de 54 ans.