Le Ried de la Bruche : le GCO a fait mal !

Avec la construction de l’autoroute de contournement ouest de Strasbourg, des mesures compensatoires ont été nécessaires. Dix avis défavorables et pourtant… Parmi les zones touchées, on retrouve le Ried de la Bruche. Six ans après le démarrage des travaux du GCO, « ce qui a été détruit est détruit. »

Le Ried de la Bruche se situe entre Molsheim et le sud de Strasbourg, à la frontière avec le Kochersberg [1]. Il a été fortement impacté par le GCO, mais pas que.


Éviter-réduire-compenser : la bonne blague !

Le principe éviter-réduire-compenser (ou « séquence éviter-réduire-compenser » – ERC ) est un principe de développement durable visant à ce que les aménagements n’engendrent pas d’impact négatif sur leur environnement, et en particulier aucune perte nette de biodiversité dans l’espace et dans le temps —
Dans les faits, le principe reste une démarche pour se donner bonne conscience. Ce qui a été détruit est détruit. Manque de suivi des services de l’Etat comme la DREAL. Aucune véritable contrainte pour imposer aux porteurs de projet d’assurer une pérennisation des secteurs défini comme mesure de compensation. Pire, l’Etat lui-même n’assure pas la sanctuarisation de ces secteurs.
Pour exemple : la liaison multimodal Duppigheim-Entzheim, projet connexe de celui du GCO. Ce projet porté par la Collectivité d’Alsace prévoit d’impacter des secteurs censés avoir été définit comme zone de compensation dit GCO.

Ce n’est pas la première fois que nous dénonçons [2] les mesures compensatoires mises en œuvre après l’écocide que constitue l’autoroute de contournement de Strasbourg, construite par Vinci.

En 2018, nous avons pleuré nos arbres. Six ans plus tard, autre région, autre lutte, nous vivons les événements autour du chantier de l’A69 avec une certaine amertume, mais aussi avec beaucoup de compassion pour ce que subissent les opposants : mêmes problèmes, même méthode… et cette question posée en octobre 2023 sur France Inter : « peut-on compenser les dégâts sur la nature ? »


La mise en oeuvre de la séquence Eviter, Réduire et Compenser à travers un exemple.

Le Ried de la Bruche est concerné par cinq mesures compensatoires récentes : quatre au titre du GCO, une pour l’extension de la zone Activeum.

Le Ried de la Bruche est un milieu naturel irrigué du nord au sud par les canaux de dérivation dits Muehlbachs, un canal, les nombreux fossés d’irrigation et la rivière avec ses bras morts. Ainsi, la ZNIEFF [3] de la basse vallée de la Bruche s’étend du débouché du Piémont des Vosges en amont, peu après Molsheim, jusqu’à la confluence avec l’Ill (au niveau du Gliesberg à Strasbourg). Elle est encadrée par le plateau du Gloeckelsberg au sud, et par celui du Kochersberg au nord. Elle s’étend sur une superficie d’environ 2 737 ha [4].

Pour visualiser cette zone, voir la cartographie ici.

Ce ried n’est plus la vaste zone humide des années 1980, mais reste un réservoir de biodiversité avec des espaces régulièrement inondés : forêts galeries de Saules blancs, Aulnaies mésotrophes et prairies hygrophiles. Par ailleurs, plusieurs dizaines d’espèces déterminantes ont été recensées sur la zone, selon l’INPN [5] .

« Ici, on garde encore quelques zones humides mais on ne peut plus vraiment parler de Ried de la Bruche. Ce sont plutôt des reliques. »

CHRISTOPHE KLEIN, DNA DU 2 OCTOBRE 2024

Une zone naturelle en danger !

Le Ried de la Bruche est concerné par cinq mesures compensatoires récentes : quatre au titre du GCO, une pour l’extension de la zone Activeum.

Les mutations de l’agriculture, la création du contournement de Molsheim et de Strasbourg, le comblement des fossés naturels au moment du remembrement, l’artificialisation des sols liée au développement des zones industrielles, la création de lignes haute tension ont mis cette langue de nature sous pression.

« En 40 ans, 80 % des prairies naturelles ont été transformées en labour. Le Bruch de l’Andlau et le Ried du Centre-Alsace sont toujours de vrais rieds avec de belles surfaces de prairies naturelles. Ici, on garde encore quelques zones humides mais on ne peut plus vraiment parler de Ried de la Bruche. Ce sont plutôt des reliques. »

DEPLORE CHRISTOPHE KLEIN AUX DNA, ARTICLE DU 2 OCTOBRE 2024

Ried de la Bruche : des reliques de nature fragiles et remarquables

C’est un confetti de nature cerné de toute part. Le Ried de la Bruche n’est plus la vaste zone humide des années 1980 mais reste un réservoir de biodiversité, sous la pression constante des activités humaines. Visite au centre de cette zone humide, entre Altorf et Dachstein, Ernolsheim et Duttlenheim, avec trois militants d’Alsace Nature, attentifs à la conservation de cet espace naturel remarquable… lire la suite

– REVUE DE PRESSE –

« Éviter-réduire-compenser : la bonne blague », avons-nous introduit.

Si le GCO ne porte pas à lui tout seul la responsabilité dans l’altération des écosystèmes dans le secteur, il en constitue malgré tout un facteur aggravant et non des moindres, puisqu’il est venu couper en deux la ZNIEFF (voir la carte)


Le franchissement de la plaine de la Bruche entre Kolbsheim et Ernolsheim-sur-Bruche a détruit plusieurs dizaines d’hectares d’une forêt centenaire. © 2020 Jean-Marc LOOS

UN PROMOTEUR QUI MENT !

Vinci, de son côté, a initié une communication offensive pour mettre en avant l’autoroute vertueuse qu’elle vante aux décideurs. Elle met en avant les innovations techniques et parle d’ « une autoroute pionnière en matière d’environnement ». Pour cela, elle n’hésite pas à faire croire qu’avec 1 315 hectares de travaux de compensation, l’entreprise a compensé quatre fois la superficie de l’emprise (350 ha). Or, les espaces détruits sont détruits à jamais.

« Le soleil ne se couche jamais
sur l’empire Vinci »

LE MONDE DIPLOMATIQUE, MARS 2016

Ce que Vinci oublie d’expliquer, c’est qu’il n’y a rien de volontariste dans sa démarche. D’une part, les mesures de compensation sont une obligation légale et d’autre part, 80 % de la surface aménagée était déjà un milieu naturel. De fait, la surface réellement compensée est égale à 263 ha alors qu’elle devrait être d’au moins le double [6].

Ce que Vinci tait également, c’est que son dossier de mesures environnementales a fait l’objet de 10 avis défavorables d’organismes d’État. Tous ont souligné les insuffisances des mesures proposées.

Face à cette réalité, l’entreprise ose parler d’une autoroute « exemplaire en matière de transparence écologique et d’intégration environnementale ».

GCO NON MERCI

Mesures de compensation : qui fait quoi dans le Ried de la Bruche ?

Suite de notre dossier sur le Ried de la Bruche avec cet éclairage sur les aménagements réalisés dans la zone humide, au titre des mesures compensatoires.… lire la suite

– REVUE DE PRESSE –

DES TRAVAUX DE COMPENSATION BÂCLÉS, NON VIABLES, SANS VÉRITABLE CONTRÔLE DE L’ÉTAT

Et quand bien même les travaux de compensation sont menés, les observations dans le Ried de la Bruche font remonter plusieurs problèmes dans les projets qui ont abouti :

  • zone humide trop restreinte pour accueillir l’avifaune,
  • proximité immédiate d’un chemin agricole qui pose des problèmes de dérangement,
  • plantation bâclée de haie près de la ligne haute tension et qui n’a jamais poussé faute de protection,
  • manque d’attention, notamment lié à la fauche de la prairie en lisière sud du Birckenwald. Elle est trop précoce et gâche le potentiel écologique de la zone.

Autre problème et non des moindres : le suivi des mesures compensatoires est à la charge du porteur de projet. Il est censé rendre compte aux services de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) sur la mise en œuvre des mesures et évaluer leur efficacité. Il y a une obligation de résultat. Ça, c’est pour la théorie. Sauf qu’il n’y a aucune garantie de viabilité pour la faune et la flore réintroduite. Nous l’avions déjà constaté en 2021. La même observation est faite avec la plantation compensatoire des arbres, que ce soit ici en 2022 ou ailleurs en 2020.
Et que fait l’administration si l’obligation de résultat n’est pas établie ? Il est trop tôt pour le dire. En revanche, ce que l’on sait avec certitude : ce que les travaux du GCO ont détruitest détruit !

« La prairie n’est pas pauvre mais elle n’est pas riche non plus. Dans les prés, il n’y a pas d’oiseaux ; ils n’ont rien pour se poser. »

MICHELE GROSJEAN, PRESIDENTE D’ALSACE NATURE, DNA DU 2 OCTOBRE 2024

Dans 80 % des cas, les mesures de compensation ne permettent pas d’éviter une perte de biodiversité. C’est ce qu’a montré une étude scientifique menée sur 24 projets d’infrastructures en Occitanie et dans les Hauts-de-France et rendue publique en 2019.
Une autre étude publiée en février 2024, vient également confirmer « l’arnaque » : bien souvent, leur surface est à la mesure de leur ambition : trop faible. Un décalage compte tenu de l’impact des ouvrages à compenser.

L’A355 de contournement ouest de Strasbourg coupe la ZNIEFF de la basse vallée de la Bruche en deux. Le viaduc au niveau d’Ernolsheim-sur-Bruche évite une rupture totale. © 2024 Amaury67, CC BY-SA 4.0

L’A355 de contournement ouest de Strasbourg coupe la ZNIEFF de la basse vallée de la Bruche en deux. Le viaduc au niveau d’Ernolsheim-sur-Bruche évite une rupture totale. © 2024 Amaury67, CC BY-SA 4.0

A la question  « peut-on compenser les dégâts sur la nature ? », notre réponse est non.

C’est pour cela que “les expertises environnementales doivent devenir suspensives“ de fait et jusqu’à ce que la justice administrative tranche sur le fond, défend l’auteur de cette tribune [2]. Même légalisé (février 2023), le GCO n’en reste pas moins illégitime


Le collectif GCO NON MERCI dans ses 10 solutions pour faire sauter les bouchons, milite pour des mobilités douces et durables


— NOTE(S) —

  1. ZNIEFF 420007117 – Ried de la Bruche de Molsheim à Strasbourg / note1 ↩︎
  2. Extrait de la tribune « La faillite du droit face aux grands projets inutiles » :
    Le cas du GCO doit être un électrochoc pour toutes les luttes, notamment celles engagées contre un projet routier. Vous avez beau disposer de tous les éléments pour démontrer l’inutilité d’un projet, être soutenus par des avis experts qui pointent les insuffisances en matière de compensations environnementales, rien n’empêche les autorités compétentes de passer en force. Espérer le secours de la justice administrative relève de la loterie. Elle a donné raison aux opposants du contournement de Beynac, en Dordogne, suffisamment tôt pour stopper les travaux… mais trois ans trop tard aux opposants du GCO.
    Pour empêcher cette situation, il faut rendre les avis du Conseil national de la protection de la nature et de l’Autorité environnementale suspensifs : ou bien le promoteur du projet réussit son examen de passage devant ces deux organismes ou bien l’État doit acter l’abandon du projet. Pour parvenir à imposer cette réforme législative, il devient nécessaire de créer une coordination des luttes routières. Chacun de notre côté, nous sommes invisibles. Ensemble, nous serions plus forts. ↩︎
  3. Zones naturelles d’intérêt écologique faunistique et floristique ou ZNIEFF. / note3 ↩︎
  4. Le périmètre de la ZNIEFF est délimité sur la base des zones inondables ou à dominante humide du lit majeur de la Bruche, afin d’obtenir une entité biogéographique cohérente. Il englobe le cours actuel de la Bruche et ses lambeaux de forêts alluviales, les cours dérivés (Bras d’Altorf, Dachsteinbach) et annexes, et l’ensemble des prairies inondables attenantes, ainsi que le canal de la Bruche. / note4 ↩︎
  5. Inventaire national du patrimoine naturel (INPN) / son site internet / note5 ↩︎
  6. La surface de compensation pour une zone humide impactée doit être à hauteur d’au moins 200 % de la surface détruite, de façon à assurer un bilan optimal en termes de fonctionnalités et de qualité de la biodiversité, selon Office français de la biodiversité (page 10). / note6 ↩︎