Réseau routier : le bout de la route ?

ICI 19/20 Alsace, dans son émission du samedi 18 mai, a abordé la question des routes dans sa partie nationale. Notre réseau routier va mal… très mal.

Le grand format d’ICI 19/20 de France 3, dans son émission du samedi 18 mai, par des exemples, a montré le casse-tête des élus pour entretenir le réseau routier selon le périmètre de compétence de chacune des collectivités locales, notamment au niveau communal et départemental. On y voit également les conséquences du dérèglement climatique qui pèse sur les budgets consacrés à l’entretien des infrastructures et des arbitrages politiques auquel les services doivent composer dans la planification des chantiers à réaliser.

L’état général du réseau routier tricolore inquiète. Il est passé de la 1re à la 18e place au classement du forum économique mondiale entre 2012 et 2019.


Au bout de la route ? ….  © Extrait d’ICI 19/20 du 18 mai 2024

Pour se faire une idée, le réseau routier français est réparti de la manière suivante :

  • 700 000 km pour les communes (essentiellement des rues) ;
  • 380 000 km pour les départements ;
  • 12 000 km pour l’État.

Selon les cas, les grandes métropoles ont une partie du réseau départemental rattachée à leur domaine de compétence.

Le manque de moyens financiers dédiés est au cœur des difficultés. En cause : le désengagement de l’État qui, dans sa politique de décentralisation amorcée dans les années 2000, a transféré des compétences aux collectivités sans pour autant l’accom-pagner d’un budget à la hauteur des responsabilités à couvrir, comme ces dernières années sur le transfert de plus de 18 000 km de routes nationales auquel l’insuffisance budgétaire qu’il leur octroie pose des difficultés dans la gestion de l’entretien optimal du réseau d’infrastructures routières qu’elles doivent gérer. Les routes sont de plus en plus sujettes aux aléas climatiques, nous l’avons brièvement abordé dans le paragra-phe précédent.

A cela, s’ajoute le réseau concédé, majoritairement autoroutier, dont la gestion de services est déléguée aux différentes sociétés concessionnaires. Si elles aussi doivent gérer l’entretien de leurs réseaux respectifs, une grande partie du financement est autogérée par les revenus que génèrent les péages. Nous y reviendrons. Le reportage ne l’aborde pas.

LE DÉFI ROUTIER FACE AUX ALÉAS CLIMATIQUES

Pour expliquer cet aspect, le reportage prend pour exemple un éboulement rocheux qui s’est produit le 27 août 2023 en Savoie et a endommagé trois infrastructures majeures. Les travaux de sécurisation et de remise en état des axes de circulation obligent le département à la fermeture de deux d’entre eux pour une durée estimée à au moins une année, sans la garantie de pouvoir les rouvrir. Pour les services, c’est une situation compliquée puisqu’ils doivent accorder de plus en plus d’importance à ce type de chantier non planifié au détriment d’autres qui sont tout aussi nécessaires pour assurer des infrastructures sûres.
L’exemple médiatique récent de la fermeture d’une portion de l’autoroute A13 a mis également en avant la détérioration du réseau soumis à des tensions causées par les phénomènes climatiques : sécheresses, coups de chaleur, fortes pluies sur des périodes très courtes, etc. et impact la sécurité routière.

Arnaud Viala, président du Conseil Départemental (CD) de l’Aveyron évoque la dette abyssale de la France et ne se fait pas d’illusion, d’autant que l’Etat a déjà lui-même du mal a gérer son propre réseau, commente la voix OFF du reportage.

EXTRAIT « AU BOUT DE LA ROUTE » · ICI 19/20 du 18 mai 2024

Selon l’ONR, 18,8 % du réseau national, 12 % des routes départementales et 10 % de celles gérées par les communes sont « en mauvais état ». © Adobe Stock

REMETTRE EN QUESTION LES CONCESSIONS

Pour faire face, le manque de moyens financiers devient inquiétant. Le reportage le met en perspective de manière pertinente. Sans le désigner ouvertement, l’Etat est responsable. D’ailleurs, dans un article paru sur argus.fr le 2 mai dernier, le média évoque la Cour des comptes qui pointe une « fragmentation croissante de la compétence routière » et déplore « une forme de désengagement de l’État à l’égard d’une de ses missions ». Si l’institution constate une stabilisation de l’état des ouvrages d’art (ponts, viaducs, tunnels…), elle prédit « la poursuite d’une tendance à la dégradation » pour les routes, certes moins marquée qu’auparavant, malgré une reprise des investissements depuis 2017. Une conclusion qui s’appuie sur les conséquences de l’accumulation d’une « dette grise » ou de coûts « reportés ». Une notion qui correspond à l’idée qu’un manque d’entretien nécessitera dans le futur des investissements souvent plus importants sous la forme soit de travaux plus lourds, soit de reconstructions en raison d’une durée de vie raccourcie des infrastructures. 

Pourtant, l’argent existe. Il émane des péages autoroutiers. Il représente plusieurs milliards d’euros par an. Seulement, au lieu d’aller intégralement dans les caisses de l’État, il sert des intérêts privés. Une grande partie des bénéfices générés par les sociétés concessionnaires ne servent pas à la sécurité routières, mais se transforment en dividendes. Ainsi, le résultat net 2022 des SCA un ensemble dominé par Vinci, Eiffage et Sanef (Abertis) – a progressé de + 11,7 % pour atteindre 4,3 milliards d’euros, selon l’Autorité de régulation des transport (ART) dans son rapport de décembre 2023.

Et puis, la remise en question de la pertinence d’un grand nombre de projets routiers contestés pourraient également libérer des lignes budgétaires dont l’argent pourrait être réaffecté à l’entretien du réseau. On parle de près de 20 milliards d’euros d’argent public. C’est d’ailleurs l’un des axes sous-jacent du moratoire que nous portons avec La Déroute des Routes.

S’il est nécessaire de révolutionner notre mobilité, en matière de sécurité routière, le désengagement de l’État sur la gestion du réseau routier français existant a de lourdes conséquences. La privatisation de certaines routes nationales, autorisée par un décret d’application de la loi d’orientation des mobilités (LOM) de décembre 2019, adopté en août 2020 et paru au Journal officiel en septembre de la même année, ne règle rien. Pour preuve, le reportage que nous venons d’évoquer dans cet article.
La seule solution viable pour redonner aux collectivités les moyens d’assurer l’entretien du réseau routier dont elles ont la charge, est de sortir de la logique de concession pour que l’Etat reprenne la main sur les péages.


Le collectif GCO NON MERCI dans ses 10 solutions pour faire sauter les bouchons, milite pour des mobilités douces et durables