TOUT SAVOIR SUR… Le contournement de Châtenois (67)
Il fait partie des projets épineux dont l’issue juridique reste incertaine. Pourtant, la décision prise en mai 2023 par le tribunal administratif de Strasbourg de stopper les travaux à 6 mois de la livraison, a fait l’effet d’une bombe et montre une évolution dans le traitement du droit environnemental que le dossier du GCO n’a pas bénéficié lors de l’arrêté prononcé en juillet 2021. Pour mémoire, le TA nous avait donné raison sans toutefois arrêter les travaux. Ici, nous voulons parler du contournement de Châtenois (67).
Pour comprendre les enjeux et tordre le cou aux préjugés et critiques qu’a fait l’objet la décision, Alsace Nature a fait le point début octobre.
Avant d’y venir, revenons un instant sur la manière dont le porteur du projet (le département) a perçu la décision de justice. C’était durant les 20 ans de GCO NON MERCI le 22 octobre dernier, Ludivine Quintallet, conseillère d’opposition à la Collectivité européenne d’Alsace, relate le comportement de certains élus survenu lors de la séance plénière du 20 octobre :
Extrait de la vidéo « GCO NON MERCI a 20 ans et c’est pas fini ! » …. © 2023
Initialement, Alsace Nature avait refusé la médiation proposée par la Cour administrative d’appel de Nancy puis en septembre 2023, suite au retrait des conditions préalables déposées par la CeA et jugées inacceptables par l’association, elle a finalement accepté d’entrer dans la médiation juridique.
Si la décision du TA d’annuler les autorisations et de stopper les travaux a suscité de violentes réactions, il est important de rappeler qu’ici, s’il doit y avoir des responsabilités, elles ne sont pas à mettre sur le dos des requérants, mais bien à imputer au Département d’une part qui a mal fait son travail et à la lenteur de la justice administrative d’établir les faits sur le fond. À titre de rappel, elle n’avait pas interrompu les travaux lors du référé-suspension, décidant de statuer sur le fond plus tard.
– source Alsace Nature
1. Historique et implication d’Alsace Nature
Initialement prévu pour une mise en circulation en 2006-2007, le dossier a fait l’objet d’un recours contre la Déclaration d’Utilité Publique (DUP) par les viticulteurs qui ont obtenu gain de cause en décembre 2003. Alsace Nature avait aussi engagé un recours en septembre 2001, qui a donné lieu à un jugement favorable en sa faveur.
2012, l’enquête publique sur la DUP est relancée, le 10 octobre elle est publiée au Journal Officiel, mi-décembre Alsace Nature engage un recours gracieux contre la DUP.
Fin de l’été 2019, la phase 1 des travaux démarre. Le 24 décembre, Alsace Nature dépose un référé suspensif (pour ce dernier nous n’avons pas été suivis par les tribunaux, donc les travaux ont pu continuer) ainsi qu’un recours au fond contre l’arrêté préfectoral portant sur l’autorisation environnementale (jugement du TA de Strasbourg qui nous est favorable en mai 2023 et demande l’arrêt des travaux).
12 mai 2023, les travaux sont arrêtés alors qu’ils ont atteint 90 % de réalisation. Les parties adverses (l’Etat et la CeA) font appel de la décision et demandent un sursis à exécution (c’est-à-dire une décision juridique, qui autorise à ne pas exécuter la peine prononcée, à savoir l’arrêt des travaux).
20 juillet 2023, la Cour d’Appel de Nancy propose une « médiation », qu’Alsace Nature va décliner publiquement le 1er août.
Septembre/octobre 2023, suite au retrait des conditions préalables à la médiation imposées par la CeA (initialement jugées inacceptables par notre association), Alsace Nature a enfin pu accepter d’entrer dans la médiation juridique.
2. Rappel des grands enjeux
- Ce dossier vieux de plusieurs décennies continue d’être porté aujourd’hui, alors que la situation climatique, la disponibilité en Eau et l’effondrement de la biodiversité n’ont jamais été aussi dramatiques. Pour 2023, le 2 aout est le jour de dépassement, c’est-à-dire qu’à partir de cette date nous consommons plus de ressources naturelles que la planète ne peut en produire en une année. Nous vivrons à crédit les 5 prochains mois de l’année !
- La problématique initiale est liée aux trajets pendulaires (domicile-travail) puisque des bouchons s’observent le matin et le soir. Ainsi, la question sous-jacente est celle de la mobilité sur des périodes restreintes. La réponse du « tout routier » cache en réalité une volonté bien connue en Alsace de capter le trafic de transit (cf. GCO par exemple) en fantasmant sur des retombées économiques pour notre région. En réalité ce trafic routier que nos élus souhaitent accueillir à bras ouvert ne conduit qu’à une dégradation de nos infrastructures et la pollution de l’air (avec une augmentation des décès prématurés estimés entre 48 et 52 000 en France par une enquête sénatoriale), sans compter les dégats causés par les accidents. L’Alsace, au travers de sa capitale, fait tristement partie des agglomérations qui figurent sur le contentieux ouvert entre la France et la Commission Européenne sur la question de la qualité de l’air.
- Une voie ferrée existait et, bien que démontée aujourd’hui, le tracé reste toujours présent. Une part de solution ferroviaire pouvait totalement être envisagée sur ce site avec un système de parking relais au débouché des deux vallées.
- Un tunnel qui peine à trouver sa rentabilité : Suite à l’accident du tunnel du Mont Blanc, le tunnel Maurice Lemaire a fait l’objet d’une mise aux normes et d’une réouverture en octobre 2008. Dès cette époque il était prévu que le trafic des camions poids lourds soit interdit dans les cols vosgiens (et notamment Sâales, Le Bonhomme et Bussang). Une quinzaine d’année plus tard force est de constater que nous n’y sommes pas. Cette fois-ci, ce serait parce que le contournement n’existe pas, et demain il s’agira du gabarit de la RN 59 qui ne va pas… et ainsi de suite.
- Un goulet d’étranglement à la sortie du Val d’Argent et du Val de Villé. Le secteur de Châtenois-Scherwiller accueille les débouchés des deux vallées et présente une trouée dans les collines sous-vosgiennes. Cette particularité a conduit au développement de milieux naturels spécifiques. En effet la présence de deux rivières (la Liepvrette et le Giessen) qui se rejoignent au profit de la trouée géologique vers la plaine, a conduit au développement de prairies inondables et de leur cortège de faune et de flore.
3. Les motifs des recours
Destruction des zones humides – Espèces protégées – Raison impérative d’intérêt public majeur
Les raisons de l’opposition d’Alsace Nature à ce projet sont les mêmes depuis le début :
- Il s’agit résolument un projet du passé, issu de l’époque où, quand un bouchon apparaissait, on construisait une nouvelle route. Cela a conduit notre région à connaitre un réseau de mobilité d’une densité hors du commun (la plus haute de France, après Paris !)… et l’ensemble des dégâts environnementaux qui l’ont accompagnée.
4. Les alternatives qui auraient été possibles
Études alternatives – Transport collectif – Amendement routier
Nous avons tous besoins de mobilité dans notre société pour travailler, pour les loisirs, pour les rencontres, la culture, les enfants la famille etc. Longtemps notre pays s’est construit sur le tout routier et « mobilité » a été confondu avec « voiture personnelle ». Les congestions partout présentes, et la question de la pollution de l’air nous imposent de revoir cette logique. Ces changements de comportements impliquent évidemment un mix de solutions, or il est reconnu que la résistance aux changements est forte : nous entendons souvent que ce n’est pas réaliste. Ce fut aussi le cas pour le TER ou pour le tram qu’aujourd’hui plus personne ne remet en cause. Les solutions alternatives que nous n’avons eu de cesse de répéter et qu’il aurait fallu étudier sérieusement sont :
- travailler sur la question des déplacements pendulaires domicile-travail (principalement vers Sélestat) avec un parking relais soit sur la voie ferrée remise en état, soit avec des bus (éventuellement en site propre), voire les deux,
5. Conséquences de la réalisation du contournement
Transfert de circulation – Pollution
Le projet est annoncé comme permettant la mise en œuvre d’un rabattement des camions présents dans les cols vosgiens par cet unique passage. Ce serait à minima 3000 camions par jour qui viendraient grossir la circulation sur Châtenois. Le second argument est de dire qu’un camion dans un embouteillage pollue bien plus qu’un camion qui roule. Cependant sur les 5 km de contournement, les véhicules croiseront bel et bien deux giratoires qui impacteront aussi un peu plus la fluidité du trafic. Par quel miracle les bouchons qui se créent aujourd’hui du fait des giratoires disparaitraient, et leur nuage de pollution avec ?
Le collectif GCO NON MERCI dans ses 10 solutions pour faire sauter les bouchons,
milite pour des mobilités douces et durables –