L’Alsace est bien un couloir à camions !

En plein débat autour de la taxe poids lourds « R-pass» que souhaite mettre en oeuvre la Collectivité d’Alsace à l’horizon 2027, son président reconnaît que la région est devenue un « aspirateur à camions ».

GCO NON MERCI a toujours pointé le risque de voir l’Alsace devenir un couloir à camions avec le contournement ouest de Strasbourg (lire nos articles ici) face à la LKM Maut allemande [1]. D’ailleurs, depuis sa mise en service, les données d’exploitation de l’A355 le montrent [2]. Pour autant, cette conséquence mise en avant parmi d’autres, n’avait pas été prise en considération par les élus favorables au GCO. Faisaient-ils semblant ?

Taxe poids lourds: l’Alsace accélère, les routiers freinent …
[…] « Aspirateur à camions »​​ · La CEA prévoit d’instaurer cette taxe sur les poids lourds de plus de 3,5 tonnes à partir de début 2027 sur l’autoroute A35 qui traverse la région du nord au sud. […] BFM ALSACE, DIMANCHE 6 OCTOBRE 2024

Taxe poids lourds en Alsace : une vaste opération escargot …
[…] L’Alsace a enregistré une augmentation de 18 % du nombre de poids lourds… […] LE FIGARO, DIMANCHE 6 OCTOBRE 2024

Taxe poids lourds : le ministre des Transports favorable au R …
[…] La Collectivité européenne d’Alsace (CEA) estime que le trafic de transit dans la région représente 51% du trafic de camions sur les autoroutes… […] FRANCE 3 ALSACE, JEUDI 3 OCTOBRE 2024

En plein débat autour de l’instauration d’une redevance poids lourds (PL) dite « R-pass » [3], ce qui nous interpelle ici ce sont les propos que tient Frédéric Bierry, le président de la Collectivité d’Alsace (CeA), pour justifier la mise en place d’une taxe PL. Trois ans après l’ouverture du GCO, il reconnait que la région est devenue un « aspirateur à camions ».

« C’est plus 18 % de poids lourds qui font le choix de traverser la frontière pour ne pas payer la taxe allemande. L’Alsace est un aspirateur à camions. Ce qui n’est pas neutre, en matière d’entretien des routes, de pollution sonore, de pollution atmosphérique, d’accidentologie à cause de la densité du trafic et des voies d’accès qui ne sont plus adaptées. Sur l’année, cela représente 1000 kilomètres de bouchons. On est dans une situation où nous devons prendre une décision. »


FREDERIC BIERRY, MAXI FLASH, LE 23 SEPTEMBRE 2024

Dans un entretien pour le média Maxi Flash, l’Alsace serait devenu « un aspirateur à camions », explique le président de la CeA. Une argumentation qu’il martèle dans sa communication pour défendre cette mesure de bon sens. Pourtant, il était prévenu. Il fait référence aux six premiers mois de l’année : 18 % de poids lourds de plus en Alsace à cause de la LKW Maut [2], la taxe allemande pour les véhicules de plus de 3,5 tonnes. Depuis le 1er décembre 2023, l’application d’une taxe CO2 portée à 200 euros par tonne est venue alourdir la contribution des transporteurs [4]. Ce qu’il omet de dire, c’est que la LKM Maut a été augmentée en août : elle est passée de 19c par kilomètre à 34,8c pour la plupart des camions. Vous imaginez la suite ?!!

« Nous oublions pas ! »

Nous sommes pour une redevance poids lourds. Nous l’avons toujours souvenu. Elle est la solution n°4 (page 12) de notre livret « 10 solutions pour faire sauter les bouchons« . D’ailleurs, nous soutenons la pétition initiée par Alsace Nature, la FNAUT et la Chambre de consommation d’Alsace qui demande une redevance poids lourds plus ambitieuse.


Le collectif GCO NON MERCI s’est mobilisé à plusieurs reprises pour dénoncer les risques de voir l’Alsace devenir un couloir à camions avec le GCO, mais également demander la mise en place d’une écotaxe.

Mais alors, que voulons-nous ? Nous voulons pointer l’attitude de décideurs politiques qui tiennent aujourd’hui un discours en toute décontraction, en oubliant leur déni qui a eu des conséquences.

« L’Alsace est un aspirateur à camions. Ce qui n’est pas neutre, en matière d’entretien des routes, de pollution sonore, de pollution atmosphérique, d’accidentologie », explique Frédéric Bierry. Il ajoute : « depuis longtemps, nous travaillons pour rééquilibrer la situation consécutive à la création de la taxe Maut en Allemagne et qui a généré une part du transfert du flux sur l’A35 et l’A36. Nous ne pouvons pas rester indéfiniment une variable d’ajustement du trafic européen ». Le constat est juste, mais le discours est faux. Si la majorité départementale avait réellement pris la mesure de ces risques, elle aurait été de notre côté.

Nous n’oublions pas. Les élus ne peuvent pas faire comme s’ils ne savaient pas. Si le GCO a été légalisé par la justice administrative en février 2023, il n’en reste pas moins illégitime. Il existait des alternatives. Certaines sont mises en œuvre depuis : l’extension du réseau cyclable autour de Strasbourg, le Réseau express métropolitain (REME). Mais face aux enjeux climatiques et de santé publique, que dire de la destruction de 350 hectares (ha) et ses conséquences sur la nature et la biodiversité, auxquels s’ajoutent les 11 000 ha de remembrement pour une autoroute qui n’a rien réglé.

Oui, nous sommes en faveur d’une redevance poids lourds et nous encourageons le président de la CeA à poursuivre cette démarche. Mais nous ne sommes pas dupes pour autant.

Face aux enjeux climatiques et de santé publique, nos décideurs politiques portent une lourde responsabilité. Nous pourrions accorder à la majorité départementale le bénéfice du doute sur une prise de conscience. Il n’en est rien. Pour preuve, l’ironique fête qui s’est déroulée le 5 octobre dans le cadre de la fin des travaux du contournement de Châtenois. Vous étiez invité à venir à pied, en roller ou à vélo pour profiter d’une route destinée aux… voitures et camions !
Quant au moratoire sur les projets routiers que nous défendons avec la coalition nationale La Déroute des routes ? Le conseiller départemental Damien Frémont nous a expliqué que ses demandes de moratoire sur les projets routiers au sein de la CeA, pour son groupe Alsace Écologiste, Citoyenne et Solidaire, ont suscité à chaque fois le rejet des collègues du groupe majoritaire. « Le goudron a encore de beaux jours devant lui en Alsace, malheureusement… », souligne-t-il.

La mise en place d’une taxe sur les poids lourds est pertinente, mais elle ne pourra pas résoudre seul les problèmes causés par le trafic routier. Où en est-on du ferroutage, par exemple ? Pour tenter de réduire les problématiques que génère le transport par la route, nos décideurs politiques doivent le considérer dans son ensemble et donc faire preuve de plus de courage.


Le collectif GCO NON MERCI dans ses 10 solutions pour faire sauter les bouchons, milite pour des mobilités douces et durables


— NOTE(S) —

  1. La LKM MAUT a été mise en place en 2003. / note1 ↩︎
  2. En se basant sur les chiffres d’exploitation de l’A355 pour l’année 2023 (6 206 PL), représentant 90 % du trafic en transit et estimé au tiers du nombre de camions au passage de Strasbourg, le total cumulé (M35 + A355) est de 20 687 camions. Soit, un trafic relativement équivalent à celui de 2022, mais qui représente tout de même une hausse de près de 5 000 PL par rapport à la seule M35 en 2019 (16 000 PL) ;
    GCO : Derrière l’embellie de façade[], la réalité est moins jolie / note2 ↩︎
  3. Par un ultime vote au Sénat le 17 février 2022, le Parlement adopté le projet de loi permettant la Collectivité européenne d’Alsace d’instaurer une écotaxe pour les poids lourds traversant son territoire à compter de 2024.
    Feu vert du parlement pour une écotaxe en Alsace / note3 ↩︎
  4. Avec 130,5 millions de tonnes équivalent CO2 (Mt CO2 éq) émises en 2022, le secteur des transports reste le premier contributeur aux émissions de gaz à effet de serre (GES) en France (32 %), avant les secteurs de l’agriculture (19 %) et de l’industrie manufacturière (18 %)
    Quel est le niveau des émissions de gaz à effet de serre de nos transports ? / note4 ↩︎