La dépendance automobile en zones peu denses : un vrai casse-tête !

– source d’inspiration theconversation.com

Réduire la dépendance à l’automobile devient un impératif d’intérêt écologique et social au regard des enjeux climatiques et énergétiques. La mobilité de demain doit nous sortir de cette dépendance pour en réduire ses conséquences. S’il est plus facile d’organiser la transition dans un contexte urbain, il n’en est pas de même en milieu rural. C’est même un casse-tête.

Un tiers de la population française vit dans des bassins de vie ruraux. Ces 20,5 millions d’habitants se répartissent à peu près à parts égales entre les bassins de vie ruraux périurbains et les bassins de vie éloignés des centres urbains, selon l’étude réactualisée de l’Insee publiée en mai. Les zones rurales sont plus sensibles que les autres à la question de la mobilité, tant il est difficile d’y trouver des équipements spécialisés.

La dépendance automobile des populations vivant et se déplaçant hors des zones denses urbaines constitue un phénomène bien connu et analysé par les chercheurs.
[…] L’essor de la voiture a permis à nombre de ménages d’échapper à la fatigue de la marche et du pédalage, de ne plus dépendre de transports publics contraignants, de gagner en liberté de mouvement, d’accéder à une plus grande diversité de destinations et de s’offrir une habitation plus spacieuse, avec jardin.
Le bouleversement des modes de vie qui en a résulté a cependant son revers : dépendre désormais d’un véhicule motorisé d’environ 1,25 tonne pour presque tous ses déplacements, ce qui n’a pas que des avantages, pour soi comme pour la planète.

Concrètement, la dépendance à l’automobile concerne avant tout les « zones peu denses », soit les petites villes de moins de 10 000 habitants et le milieu rural, où vivent 8,9 millions de ménages et 21,5 millions d’habitants — ville de moins de 10 000 habitants = 7,6 millions / milieu rural = 13,9 millions / selon « La France et ses territoires, Édition 2021 » de l’Insee — soit le tiers de la population française (on l’a évoqué dans le paragraphe précédent). Plus des trois quarts des déplacements s’y font en voiture. Plus de la moitié des ménages disposent d’au moins deux automobiles. Cette dépendance est également assez forte dans les villes moyennes et en périphérie des grandes villes où vit un autre tiers de la population.

Dès que les conditions de déplacement en voiture se resserrent, la dépendance devient une contrainte.
Abordé dans l’article La dépendance automobile tourne en rond, l’aménagement du territoire est la principale cause. Aussi, les choix politiques des élus est directement associé. En effet,

De nombreuses politiques publiques ont contribué et contribuent encore à alimenter ce cercle vicieux de la dépendance à l’automobile, tels que les projets (auto)routiers restants ou des aides au changement de voiture plus fortes que les aides au changement de mode. Les exemples ne manquent pas.

Les alternatives à l’automobile demeurent encore trop peu appliquées ou pensées notamment dans les zones rurales et périphériques

Des alternatives à l’épreuve des déserts ruraux

En zone dense, les alternatives à l’automobile — marche, vélo, transports publics… — sont bien engagées et donnent de bons résultats. Mais en zone moins dense, elles patinent, selon un rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective sur les « mobilités dans les espaces peu denses en 2040 : un défi à relever dès aujourd’hui », remit en janvier 2021.

Le constat : les alternatives pour troquer partiellement, voire totalement l’usage d’une voiture personnelle existent, mais plus on s’éloigne des zones denses, plus elles deviennent utopiques. Dans les faits :

  • Les transports publics ne peuvent être déployés partout ou à un coût exorbitant. Quid des lignes existantes abandonnées et délaissées par la SNCF.
  • Le covoiturage de courte et moyenne distance a beaucoup de mal à séduire : contraintes d’organisation, méconnaissance des pratiques, freins psychosociaux, …
  • Le transport à la demande est très coûteux et exclut une grande majorité de la population qui n’en a pas les moyens ;

L’insécurité routière continue de dissuader les déplacements à pied ou à vélo dans les zones peu denses. © DB / GCOnonmerci | Le casse-tête de la dépendance automobile en zones peu denses

  • Le vélo n’est plus compétitif au-delà de 5 à 10 km.

Même si les petites déplacements restent assez nombreux dans les territoires peu peuplés (près de la moitié y font moins de 5 km), « la faible part des modes actifs est ainsi notamment due à l’absence ressentie de place pour ces modes dans l’espace public, rendant les déplacements à vélo et à pied perçus comme difficiles et dangereux », selon une note du CERAMA de 2016.
Même le télétravail incite, en fait, les gens à habiter plus loin de leur lieu de travail ou à accepter un emploi plus éloigné de leur résidence et ne réduit en rien l’usage de la voiture, explique Frédéric Héran.

  • Le manque de relais multimodal pour rapprocher les zones peu denses des zones denses via celles moyennement denses ;
  • Le manque de courage politique.

Il est certainement le constat premier. Un frein à l’émergence d’une politique de rupture pour sortir les zones rurales de l’isolement dans lequel notre système actuel l’a plongée.
Au vu des constats, nombreux sont ceux qui s’interrogent : faut-il vraiment essayer de sortir de cette dépendance à l’automobile ? Pourquoi embêter les ruraux ? Au lieu de prendre des mesures et d’essayer de surmonter ce casse-tête, la plupart des élus préfèrent le statu quo. Pire encore, ils aggravent cette dépendance, notamment en favorisant la construction de nouvelles routes.

  • La peur face au changement. L’aspect psychosocial est également un frein.

L’inaction politique est un obstacle. Elle est la conséquence du manque de courage politique abordé dans le point précédent. Cette inaction est entretenue par des puissances économiques qui n’ont aucun intérêt à plus de sobriété dans nos modes de déplacement. C’est pourquoi, la division orchestrée, de ne surtout rien changer, utilise nos peurs. Aussi, l’absence d’une réelle éducation populaire n’aide pas.

Pourtant, des pistes existent : chercher des solutions pour limiter la dépendance ne la supprimera pas totalement. C’est vrai! Cependant, chaque action mise bout à bout, qui permet de réduire les nuisances (pollution, bruit, congestion…) sont autant de solutions bonnes pour tout le monde. Quelques exemples :

  • agir sur les zones moyennement denses pour créer des ponts multimodaux entre les zones denses ou bassins d’emploi et les zones moins denses : ça peut se faire par la création de parking relais entre tram, TER, bus, air de covoiturage…
    Le CEREMA peut être centre de ressources
  • reconquérir les territoires où les lignes ferroviaires existent ;
  • soutenir les points de covoiturage, les facilités, …
  • développer les itinéraires cyclables en sites propres = meilleure sécurité pour les cyclistes ;
  • sortir de la logique du tout-routier et remettre à plat l’ensemble des projets d’infrastructure routière = valider le moratoire que propose La Déroutes des routes ;
  • engager une réforme territoriale pour regrouper toutes les compétences « transport » sous une même entité. Aujourd’hui, l’éclatement des compétences est un frein à la mobilité. Il faut une meilleure cohérence ;

Webinaire sur les mobilités, quelles solutions en milieu rural ? (Laboratoire de la mobilité inclusive, 2021).

En zone peu dense, les nuisances existent aussi !

L’idée reçue de penser qu’une voiture ne provoque pas vraiment de nuisances en zone peu dense, parce que l’espace naturel y est plus vaste, est faussé. Tout comme celle qui consiste à vanter les mérites écologiques des véhicules électriques.

Dans cette avant-dernière partie, nous basons une partie de nos propos sur le travail de l’économiste et urbaniste, Frédéric Héran dans Le casse-tête de la dépendance automobile en zones peu denses. Il en est de même dans le dernier chapitre.

Les nuisances sonores

Le bruit reste une gêne. Les logements en bordure de route ou proches d’une autoroute subissent des nuisances. La voiture électrique ne réglera pas ce problème, car le frottement des pneus sur la chaussée et les effets aérodynamiques dominent au-delà de 50 km/h.

Piétons, cyclistes, séniors et enfants sont plus vulnérables

L’insécurité routière pour les piétons et cyclistes n’encourage pas ces modes de déplacement, même si la mortalité sur les routes a été fortement diminuée en France depuis les années 1970.
En 2022, les cyclistes enregistrent une hausse de +31 % de leur mortalité avec 245 tués. Pour les piétons, leur nombre est remonté au niveau de 2019, avec 488 tués ; le nombre de piétons tués augmente en particulier sur les routes hors agglomération (128 tués) et sur autoroute (58 tués) source

Un phénomène renforcé par les infrastructures de transport qui morcellent le territoire et imposent des détours. De plus, la consommation d’espace exigée par les véhicules individuels motorisés engendre une circulation dans la moindre ruelle, un stationnement généralisé sur toutes les places et même sur les trottoirs (quand il y en a). Résultat : « les personnes vulnérables (enfants, seniors, handicapés…) doivent le plus souvent être accompagnées en voiture par des proches pour leurs déplacements« , constate l’économiste et urbaniste, Frédéric Héran.

La voiture, une nuisance à l’épreuve des ressources fossiles qui s’amenuisent

À plus long terme, il faudra bien se rendre compte que la voiture n’est pas une solution durable. Son efficacité énergétique est déplorable, puisqu’en moyenne, elle transporte à 93 % son propre poids et pour le reste seulement des personnes et des charges. Les ressources de la planète ne seront jamais suffisantes pour faire face à un tel gaspillage : « même si le taux de recyclage des véhicules hors d’usage s’améliore, les matériaux et composants récupérés sont généralement dégradés ».

« On ne sait pas encore précisément quelles seront les ressources qui viendront à manquer en premier : le cuivre pour les circuits électriques, le néodyme pour les aimants permanents des moteurs électriques, le cobalt pour la production de batteries ou d’autres encore ? Il est certain, en revanche, que le prix des voitures et de l’énergie aura de plus en plus tendance à augmenter« , relève l’économiste et urbaniste.

Dans notre réalité, ce sont des faits factuels que l’on commence à mesurer et subir dés aujourd’hui.

Sur les routes du Kochersberg, les vélos sont rares, contrairement aux voitures souvent prises dans des embouteillages le matin et le soir. © Photo A.C-C / Rue89 Strasbourg | Le Kochersberg veut se convertir au vélo, ses automobilistes pas pressés

Vers des véhicules plus frugaux

Pour réduire toutes ces nuisances et conserver une mobilité à la fois individuelle, accessible et bon marché, Frédéric Héran évoque une solution qui consiste à s’orienter vers d’autres véhicules dit « intermédiaires ».

Pourtant, l’utilisation de tels modes est aujourd’hui considérée comme une régression intolérable et paraît même impensable, tant le standard de la voiture individuelle et le mode de vie qui va avec sont intériorisés dans tous les milieux sociaux.
En façonnant nos imaginaires, par leur campagnes publicitaires massives, les constructeurs automobiles y veillent. L’accès à des véhicules toujours plus sophistiqués correspondrait, nous disent-ils, aux aspirations de la société.

Constat de Frédéric Héran

Pour ce faire, il faut changer notre regard sur la manière de nous déplacer et de vivre. Ce n’est pas gagné, mais nous devons garder l’espoir qu’avec le renouvellement des générations face aux enjeux climatiques, énergétiques et sociaux, notre société change.

Sortir de la dépendance à la voiture ne sera pas possible pour tout le monde. C’est une réalité factuelle abordé dans cet article et ici. Cependant, la réduire est possible. Aujourd’hui, seul le courage politique manque pour y parvenir et une éducation populaire pour expliquer.

Même en zone rurale, il est possible de réduire la dépendance à la voiture. Il faut juste le vouloir !


Le collectif GCO NON MERCI dans ses 10 solutions pour faire sauter les bouchons,
milite pour des mobilités douces et durables