« Le temps des grandes infrastructures de transport est terminé »

« Le temps des grandes infrastructures de transport est terminé ». Place désormais aux « déplacements du quotidien ». On ne saurait être plus clair. Après Emmanuel Macron, le 1er juillet, à Rennes, la priorité formelle aux transports de tous les jours a été réaffirmée le 4 juillet, devant l’Assemblée nationale, par Édouard Philippe, dans son discours de politique général.

Les deux têtes de l’exécutif ne sont pas les premiers décideurs publics à annoncer cette fameuse « priorité aux transports du quotidien ». Le discours est officiellement, depuis des années, celui du président de la SNCF Guillaume Pepy (ici une interview datant de 2011). La même priorité fut aussi annoncée par les ministres successifs des transports de François Hollande, Frédéric Cuvillier puis Alain Vidalies. Mais là, pour la première fois, c’est au niveau du chef de l’État que l’annonce est faite.

« Make our planet great again » – rendez sa grandeur à notre planète – Emmanuel Macron à Trupp le 1 juin 2017

Le discours fondateur. A Rennes, le 1er juillet, pour l’inauguration de la ligne à grande vitesse (LGV) bretonne, qui place, selon l’expression consacrée, « Rennes à 1h25 de Paris », le Président de la République a été limpide. Le discours vaut la peine d’être entendu, ou même vu. M. Macron commence, comme il est d’usage, par féliciter tous les dignitaires présents et par louer ce « combat des élus que vous êtes, mené sans relâche depuis des décennies » pour la nouvelle ligne rapide. A propos des nouvelles LGV, lire l’article d’Eric Beziat du Monde.

La fin de la vitesse. Puis, au bout de 7 minutes, par un subtil changement de pied, le chef de l’État évoque « les mobilités prioritaires à (ses) yeux ». Et ce n’est plus la vitesse. « En venant inaugurer ce projet ce soir, je suis en train de vous dire : le rêve des cinq prochaines années ne doit plus être un grand projet comme celui-là », explique M. Macron à une assistance plutôt habituée à ce qu’on lui promette de nouvelles voies, de nouvelles autoroutes, de nouveaux aéroports. « Si je vous promettais cela ce soir, je vous mentirais », ajoute-t-il.

Le chef de l’État liste ensuite posément les raisons qui l’amènent à ce choix : des « infrastructures insuffisamment entretenues » (coucou Brétigny 2013), l’« accroissement de la dette », l’incapacité de l’État à « promettre des aéroports ou des TGV à tous les chefs-lieux de département » (coucou Notre-Dame-des-Landes), car « conjuguer toutes les promesses, c’est se condamner à n’en tenir aucune », ou encore cette évidence, le voyage « le plus pertinent n’est pas toujours pour la capitale ».

« Et en même temps ». Autrement dit, même s’il est convenu de se féliciter du raccourcissement des liaisons entre « Paris et Bordeaux », « Paris et Guingamp », « Paris et Quimper », tous les Quimpérois, les Bordelais et les Guingampois ne veulent ni ne peuvent se rendre tous les jours à Paris. Et ceux qui le font sont tous hyperconnectés (à lire ici). Enfin, la SNCF supprime, dans toutes les régions, des lignes jugées déficitaires, des trains de nuit, des cadences de TER. Pour être encore plus clair, et pour céder à la tournure du moment, on ne peut pas vouloir la grande vitesse partout et en même temps des dessertes de proximité efficace.

Même réflexion sur la liaison « Paris-Strasbourg » ou encore la sous exploitation des lignes TER avec la suppression de certains trains qui ne favorisent pas les alternatives au « tout voiture » accentué par une absence d’une VRAIE politique des déplacements où la facilité est préférée (le GCO) à d’autres intermodalités.

Macron légitime le vélo. A Rennes, le Président de la République a aussi indiqué ce qu’il entendait par « mobilité du 21ème siècle ». Pour lui, il s’agit d’« articuler les mobilités entre le TGV, le TER, le transport urbain, le vélo, la voiture ». Le vélo, donc (c’est un peu avant la 10ème minute). Pour la première fois, un Président de la République a légitimé le vélo comme moyen de déplacement. Une évidence pour tous les spécialistes de la mobilité, mais jusqu’ici un gros mot pour la plupart des responsables politiques, tremblant à l’idée d’apparaître trop écolos, trop ridicules, trop bobos, trop prolos, ou tout ceci à la fois (à ce sujet, la bronca pro-vélo contre Ségolène Royal, mai 2015).

La « mobilité du quotidien » va faire du grabuge. Après tout, on s’accommodait jusqu’à présent d’une éternelle fuite en avant des projets démesurés, au nom de l’aménagement du territoire et surtout de l’« égalité des territoires », un concept érigé en ministère pendant le quinquennat Hollande. « Ciel, ma ville est si loin de Paris ! Comment osons-nous tolérer pareil mépris ! » surjouaient ces élus soucieux de pouvoir rapidement rejoindre leur terre d’élection après un déjeuner dans la capitale.

Le président de la Nouvelle Aquitaine, Alain Rousset (PS), qui affirmait le matin même, à Bordeaux, que « le TGV est un train du quotidien » est donc démenti. Comme le rappelle Gilles Dansart, rédacteur en chef de Mobilettre, « les territoires étaient jusqu’ici habitués aux promesses, aux discours solennels et un peu creux – le dernier de François Hollande lors de l’inauguration de la LGV Tours-Bordeaux fut une succession de banalités et de formules conventionnelles ».

Panique à bord ! Dès lundi matin, les élus régionaux tentaient de joindre la ministre des transports, s’inquiétant pour « leur » autoroute, « leur » LGV ou « leur » aéroport… Des fonds sont déjà engagés, des contrats déjà passés, la communication bien lancée. Et les grands projets ont leurs gros lobbies.

BTP : la fin des illusions. Un samedi de février 2016, encore, alors qu’il inaugurait la station de RER Rosa Parks, Manuel Valls soulignait que le prolongement des lignes de transport serait « bon pour les bâtiments et travaux publics  ». Le même raisonnement était avancé en mars 2017 par Dominique Bussereau, ex-ministre des transports et soutien conditionnel de François Fillon, lors d’un débat consacré aux transports (à voir ici), dans le cadre de la campagne présidentielle.

Doucement, puis de plus en plus fort, des voix s’élevaient. La Fédération des associations d’usagers des transports, les élus en charge de la mobilité, réunis au GART, les opérateurs des transports, à l’UTP, le disaient plus nettement : « et si on faisait d’abord les transports pour les voyageurs ? » L’ex-député Philippe Duron (PS) y avait consacré un rapport, mal reçu mais prémonitoire, dès 2013. Même les concessionnaires d’autoroutes, réunis en congrès à Strasbourg le 21 juin, plaident unanimement pour le partage de l’autoroute et de la voiture.

« Mon TGV ». Concrètement, cette nouvelle priorité sera-t-elle immédiatement appliquée ? On est en droit d’en douter. Dès lundi matin, les élus régionaux tentaient de joindre la ministre des transports, s’inquiétant pour « leur » autoroute », « leur » LGV ou « leur » aéroport… Des fonds sont déjà engagés, des contrats déjà passés, la communication bien lancée. Et les grands projets ont leurs gros lobbies.

Les transports du quotidien, réfection d’un trottoir, itinéraire cyclable, couloir de bus, toilettes dans une gare routière, refonte de la signalisation des RER, voies réservées au covoiturage, n’ont pas seulement besoin d’argent. Il y a des frontières administratives à dépasser, des élus locaux à réconcilier, des horaires à modifier, des panneaux d’information à installer, des interdictions à lever, des systèmes d’information à coordonner, etc. Tout ne dépend pas de l’État, loin de là, les résistances sont multiples, les habitudes bien ancrées. Bienvenue dans le grand chantier des micro-coutures des mobilités du quotidien, M. Macron!

Source – Olivier Razemon Bienvenue dans le grand chantier (…)
(l’actu sur Twitter, des nouvelles du blog sur Facebook et des pictogrammes sur Instagram).

Bienvenue dans le grand chantier des « transports du quotidien », M. Macron!

Le courage politique de savoir remettre à plat des projets d’infrastructure tel que le GCO, voilà tout l’enjeu de mettre en acte des propos. D’où notre volonté à voir un moratoire se mettre en place et vite. Nous comptons sur Emmanuel Macron, Président de la République, Edouard Philippe, Premier ministre ou encore Nicolas Hulot, ministre d’Etat de la Transition Ecologique et Solidaire, à entendre notre appel.