Condamnation réplique
Antigone revisitée.
Claire et Martin ont écopé de deux mois de prison avec sursis pour s’être glissés sous une foreuse de VINCI afin de s’opposer à la réalisation du Grand Contournement Ouest de Strasbourg.
L’exception d’illégalité des actes administratifs invoquée par leur avocat a été rejetée par le Tribunal car « ce n’était pas là le fondement des poursuites, les irrégularités ne permettant pas de s’opposer à des travaux publics ». Un tel jugement est conforme à l’invention du « délit de solidarité » au pays des Droits de l’Homme…
Outre le fait que les alsaciens n’ont aucun intérêt à emprunter ce contournement vu que 90% des automobilistes de la troisième, deuxième ou première couronne se rendent directement au centre de la ville, la solidarité s’applique ici au profit d’une population destinée à être exposée comme jamais aux particules fines si cet ouvrage devenait l’axe de passage privilégié des poids lourds en provenance du nord de l’Europe. Elle s’applique aussi aux animaux en voie de disparition comme le grand hamster d’Alsace, parmi des centaines d’espèces menacées.
Le Droit est ici au service des grands acteurs économiques. Sa domination systémique partage le monopole de la violence légitime avec cette nouvelle divinité dépourvue de sujet qu’est le « Marché ». La violence froide qui s’exerce au profit de ce totem est comptable, fiscale, administrative, évaluatrice et pénale. La violence socioéconomique qui en résulte est une prosopopée du discours scientifique, technique et marchand comme instrument de dressage des opposants à un progrès dévastateur. Tablant sur des arguties, ce tribunal n’a cure du bien public en rapport avec la convention d’Aarhus et de la Cop 21. Hors sujet, bien sûr.
Seulement, lorsque la justice est ressentie par ses administrés comme un pôle de coercition qui ne protège plus ses intérêts vitaux, c’est que le tiers judiciaire n’en est plus vraiment un. De même, lorsque des tribunaux acquittent des policiers dans les quartiers où ils commirent leurs exactions, quand la mort de Remi Fraisse ne donne lieu à aucune condamnation, la justice devient alors cette scène tronquée qui méconnaît le courage de résistants civils pacifiques pour les condamner. Leur délit ? Etre mus par l’intérêt général, être insensible aux appétits financiers d’une multinationales qui ne se préoccupe en rien des conséquences tragiques de son activité ni sur la flore, ni sur la faune, ni sur la santé et la sécurité des personnes.
A ceux qui promeuvent la violence systémique d’une économie détruisant le vivant sans vergogne, le risque est grand pour que répondent des actes éthiques visant à restaurer une maîtrise citoyenne sur le cours du monde.
A la violence judiciaire normée par un capital pulsionnel pourrissant sous l’opprobre de ses saccages, s’oppose la réplique pacifique et émancipatrice de collectifs ayant pour seul but la sauvegarde de la biodiversité et pour lesquels des actes d’insoumission salvateurs l’emportent sur la peur.
L’application d’un droit prévariqué au profit exclusif de Mammon contrevient au processus civilisationnel. Antigone moderne, Claire ne défend pas la nature. Rendons-leur hommage, car culturellement avec son compagnon, ils sont la nature qui se défend !
Dominique Jacques Roth